Handi-Aikido: "Ils ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait"

Tout a commencé par une rencontre imprévue un beau samedi du début septembre 2015...

Un rencontre humaine...  
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Comme chaque année notre club est convié à la fête du Sport de Nancy au St Sébastien, manifestation toujours compliquée car tôt dans l'année, le club reprend à peine ses activités et il est donc laborieux de mobiliser les troupes et organiser la tenue d'un stand et les démonstrations.
Donc je râle, je grogne un peu, car peu de pratiquants répondent présents, tout se fait à la dernière minute et il faut courir partout. 
Et puis "Ça ramène personne pour nous, vu notre emplacement au Haut du Lièvre, on y va pour rien!" m'exclamais-je. Je réagis  comme mes confrères des autres disciplines du NSC qui eux ont décidés de ne pas faire de démonstrations pour toutes ces raisons. Mais comme d'habitude je râle et je fais tout de même. Ainsi, on se retrouve donc au St Sébastien tout le samedi entre stand, démos...

On discute avec les quelques passant intéressés mais bon rien de concret, personne ne passera la porte de notre dojo... Comme les deux autres dernières années d'ailleurs... Sauf un!

Un homme d'une trentaine d'années, observe notre démonstration avec attention, cela se remarque bien, car les personnes réellement attentives sont bien peu nombreuses.

Vers la fin de notre démo, je remarque qu'il est de plus en plus proche du tatami. La démonstration se finit et une discussion s'engage avec lui. Il me dit avoir fait du karaté, il s'intéresse à notre disciple et me pose beaucoup de questions.

Voyant son envie qui contrastait avec le "c'est combien?" et le "Ah mais c'est loin le Haut du Lièvre", "C'est vraiment efficace votre danse en jupe?" et sans oublier "Moi je préférais tel jour de cours, à telle heure et plutôt à cet endroit là"... (Bon je vous l'avoue j'ai exagéré les deux dernières citations et encore pas beaucoup:)) Je lui propose d'essayer, notre démonstration se transforme ainsi en cours d'initiation individuel.

Ce jeune homme découvre notamment Ai Hammi Nikkyo Ura et a un plaisir non dissimulé de voir notre Jérôme 2ème Kyu et ses 15 ans de Boxe Thai tomber à genou à ses pieds par la tension articulaire sur son poignet. 

Une invitation...

Les discussions continuent et je lui propose de se rendre au dojo pour venir s'entrainer avec nous et mieux découvrir notre art martial. Il me remercie beaucoup de ma proposition, je pense discerner de l'étonnement même suite à mon invitation. Bizarre non? C'est un peu le but de la journée ne pensez-vous pas?

C'est vrai j'oubliais de vous dire que cette personne étais assise sur un fauteuil et ne peut pas s'en lever.
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Je lui transmets nos coordonnées et il m'appelle peu de temps après pour confirmer sa venue.

Malheureusement nos locaux ne permettent la venue de personnes en situation de handicap moteur que dans le "grand" dojo que nous avons le mercredi après le départ du Taekwondo du 21h à 22h pour notre cours d'armes hebdomadaire.

Effectivement notre salle principale étant de 70m² contre les murs mansardés (même moi je tiens pas debout partout et pourtant je ne fais que 1m85 environ.. bon ok moins 15cm:)).

Son prénom est Manu, il découvre ainsi avec nous la pratique du bokken. Enchanté par son premier cours, on le revoit deux semaines après à cause de soucis logistiques.

Des motivations...

Vu son handicap, il faut réserver à l'avance un véhicule adapté HandiStan qui lui permet d'arriver jusqu'à notre dojo.
Puis un jour, il me demande si un de ses amis peut participer. Nous avons fait la connaissance de Christophe très rapidement puis Marianne quelques semaines après.
Le groupe s'agrandit à mon plus grand étonnement. Au départ je suis resté très passif, je voulais voir s'il étaient motivés, réguliers et cela dans la durée. Ce fût le cas et cela continue de m'étonner.

Je me rends compte que j'avais déjà eu à faire à de nombreux autres "handicapés" mais qui eux pour la plupart ne sont pas en fauteuil car ils n'ont pas un handicap physique proprement dit, mais disons une "Handi Flemme". Pathologie dévastatrice, qui peut vous vider un cours à la première rencontre avec une fille, suivant la météo ou encore la sortie du dernier épisode de Game of Thrones.
Bien heureusement, tous les pratiquants ne sont pas comme cela et je suis plutôt satisfait de notre dojo par rapport à ce que j'entends d'autres enseignants.

Eux ont une motivation conséquente permettant une régularité au cours parfaite et une attention optimale. Des conditions idéales pour la progression malgré les limites physiques. Et pourtant les contraintes sont légions surtout dans les premiers mois:
Afficher l'image d'origine - Le Transport à réserver qui à des horaires de retour variable, combien de fois je me souviens en fermant la salle les voir dehors sous la neige attendre le bus parfois jusqu'à 30-45 mn.
- Les problèmes logistiques, moi donnant cours avant et notre dojo étant à l'étage, ils sont dépendant du gardien qui doit donc être présent au bon moment au bon endroit.
- Les problèmes de salle, de matériel,...
- etc, etc,...
Mais au fil du temps, on s'adapte on trouve des solutions et cela va de mieux en mieux!


Puis il y a le contenu du cours! Comme je leur ai dit au début: "Je suis incompétent, je ne connais rien au handicap, je n'ai aucune expérience, mais si vous êtes motivés je suis prêt à m'investir et on va travailler ensemble!".


J'ai donc papillonné un peu chez d'autres senseis et à quasi chaque stage je questionnais le technicien.
Quel ne fût pas mon étonnant quand j'ai eu les différents retours:
"Quoi tu fais ça?! Ah non moi j'ai jamais fait, euh ben bon courage! C'est pareil tu verras!"
"On est pas éducateur spécialisé, il ne faut pas dénaturer la pratique et s'éparpiller dans ce genre de projet"
"Travaille la respiration, la Kokyu, le Ki et tu verras ça ira! Enfin je n'ai jamais fait mais bon."
"Comment tu arrives toujours à tomber dans ces situations?"
" Tu me les ramènes pas quand je viens en stage ok?"
D'autres retours furent plus pertinents à mon goût (bien que moins nombreux je dois dire):
"L'important c'est la relation humaine, une fois établie tout suivra"
"Tu as raison, moi je n'ai pas eu l'occasion, je peux difficilement t'aider mais je te soutiens!"
"Je pourrais venir voir comment cela se déroule à un de tes cours?"
"Il faut bien définir ce que tu souhaites travailler avec eux, fixer un coup et s'y tenir (self défense, bien-être, développement de compétence psychomotrices, ...)"

Et je dois dire aussi beaucoup de soutien sincères de plusieurs pratiquants et enseignants. Je tiens à préciser que dans mes citations bonnes ou mauvaises on retrouve des techniciens de toutes origines fédérales et écoles. 

Une dynamique de groupe...

On a commencé à en discuter sérieusement en interne entre les enseignants, l'administration du club et les pratiquants. J'avais de l'appréhension, je me demandais comment cela va être entendu par les autres acteurs de notre association. 
Va-t-il y avoir une motivation et investissement des autres enseignants?
Comment cela va être reçu par la direction du club?
Les pratiquants vont-ils jouer le jeu et s'impliquer par leur présence et disponibilité?

Et ben c'est trois fois un grand oui!
OUI, les enseignants me soutiennent pleinement dans cette aventure et malgré un planning chargé sont aussi présents que possible.
OUI, la direction du club est motivée, Monsieur HENIN, notre président s'investit depuis toujours dans l'insertion sociale par le sport et est particulièrement sensible aux différents publics "défavorisés" pour leur permettre d'accéder aux activités dans les meilleures conditions.
OUI, les pratiquants sont présents et consacrent du temps pour pratiquer avec eux en tenant compte des limites physiques et plus le temps passe plus cela est naturel et intéressant.
Les pratiquants comme les enseignants, on découvre que s'adapter au partenaire c'est toujours enrichissant et que l'on développe un travail d'uke plus attentif et disponible, d'autres sensations,  des capacités physiques mais aussi une compréhension des schémas techniques et de la biomécanique du corps.
Je n'oublie pas non plus les soutiens des autres sections, des autres pratiquants et de l'équipe du complexe qui nous poussent dans cette voie dans les meilleures conditions possibles avec les moyens du bord.


Se former...

Puis vient le temps de se former, l'expérience ne peut pas tout faire. La prise en charge de personne en situation de handicap ne peut pas se prendre à la légère, il nous faut nous former.

L'expérience des quelques mois de cours et l'expérimentation de nombreuses choses nous ont permis de développer une pédagogie différenciée pour les cours d'armes principalement mais aussi pour l'aikido.
Mais il nous faut mieux connaître les règles de sécurité, la législation, avoir des retours d'expérience et de quoi nourrir notre réflexion.

Je suis donc allé en formation à Paris deux week-ends pour la première formation Handicap de notre fédération FFAAA (le hasard du calendrier fait bien les choses).

Cette formation fût portée par l'association ODAAS et poussée (contre vents et marées) par plusieurs personnes au niveau fédéral. Car comme vous l'avez subtilement deviné dans mes citations précédentes tous ne sont pas favorables dans notre aikimonde. Un aikimonde bien en retard sur ce plan par rapport aux autres disciplines...

J'ai plaisir à rappeler qu'au sein  de notre majestueux Diplôme d'Etat dont je suis titulaire on n'évoque à aucun moment dans la partie spécifique Aikido les publics spéciaux et leurs particularités (séniors, handicap et même pas ados et enfants qui doivent faire aux environs de 50% de l'effectif fédéral...).

Cela me fait me rappeler que lors de la préparation de mes diplômes, j'ai fait l'ensemble des formations (nationales, EDC, BF) et étant à l'époque particulièrement intéressé par l'Aikido Enfants je voulais des renseignements et personnes n'a abordé ce sujet et cela malgré mes questions. Sauf bien entendu à la formation Enfants de Vichy. Mais après plusieurs échanges avec différents acteurs, plusieurs ont a cœur ce changement, il se fera surement dans la durée, il faut juste espérer qu'il dure pas trop...

Bon revenons de cette aparté à la formation Handicap fédérale! Très pertinente, je suis revenu avec beaucoup de réponses, beaucoup de nouvelles questions et réflexions.
Une belle expérience pour la sensibilisation au handicap notamment quand on a pas d'expérience dans le domaine, sa gestion dans le domaine sportif etc.

Heureusement que l'Aikibudo était là avec 50% de l'effectif, un haut gradé et un intervenant car sur le plan Aïkido c'était un peu le désert de Gobi surtout au niveau de l'absence total de haut-gradés.

Mais ce fût tout de même une belle réussite! Maintenant quid de l'an prochain? Y aura-t-il de la formation continue des enseignants concernés, notamment sur un plan plus "aiki"? Histoire à suivre...

A mon retour, le certificat professionnel en poche, je me suis hâté à la transmission des informations et à la formation des autres enseignants du club.


Thierry, candidat au BF cette année a même animé un cours tutoré (avec plan de cours et tout) Handi-Valide!

Un projet d'avenir/ à venir...

Pendant ce temps-là, nos trois amis continuent à évoluer et acquérir des connaissances et compétences. La motivation de fléchit pas (pour le moment et il faut que ça dure)!


Nous sommes en plein dans la conception d'un projet structuré pour l'an prochain.

Cela demande beaucoup de travail et d'implications en Aiki mais aussi en dehors mais nous avons beaucoup de ressources. Je pense que depuis cette année ceux qui en doutaient en sont convaincus avec tout ce qu'on a accumulé comme combats et projets depuis moins de trois ans de fonctionnement de la section^^.

J'ai donc le plaisir non dissimulé de vous annoncer la création d'une section spécifique Aïkido Handi-Valide l'an prochain au sein de l'association Nancy Sports de Combat HDL!

"Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait" Mark Twain

 
Philippe THEIS
Resp. Technique Aïkido Nancy SC